Il y a quelques semaines, je postais ce tweet :
Outre le fait d'être fière de mes talents de pâtissière et de mon âme anti-gaspi qui m'a poussée à utiliser les blancs d'oeufs restants comme masque pour le visage, j'étais aussi très contente de mon humour.
Le team de Zenika Lyon l'ayant aimé - sans doute fan de mon humour également -, il se trouve qu'une personne a vu ce tweet et s'est sentie offensée pour la gente féminine.
Sur le moment, je me suis sentie stupide, parce qu'évidemment mon but n'était ni d'être sexiste, ni misogyne. Je me suis donc empressée de répondre - en mettant les mots dans le désordre, vous aurez remarqué - pour dédramatiser et révéler ce qui était une vérité.
Mais - parce qu'il y a souvent un "mais". J'ai certes dit une vérité, mais quelque chose me chiffonnait. En réalité, je n'avais pas choisie ces mots par hasard...
Trouver les mots
Il se trouve que je lis actuellement Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes de Gloria Steinem. C'est un recueil de textes que la journaliste et féministe a écrits entre 1963 et 1982.
Je fais une parenthèse, mais si le sujet du féminisme vous intéresse, ce livre est très accessible et plus facile a appréhender pour commencer que Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir.
Bref, dans ce bouquin se trouve un article s'intitulant Les mots et le changement. Ce texte traite de l'importance des mots dans l'inclusion et l'appartenance. Et j'y ai lu ceci :
L'esprit féministe a revendiqué certains mots par défi et humour.
Quelle synchronicité ! Il a fallu que je lise ceci pour réussir à mettre des mots sur ma démarche.
Tu sais qu't'es bonne ?
Et donc, pourquoi réellement m'étais-je qualifiée de "bonne" ?
Parce que sur cette photo je ne corresponds pas à ce qu'on qualifie dans la vie de tous les jours de femme "bonne". Et pourtant, mettre un masque pour avoir une belle peau, c'est une démarche pour être "bonne" ! Un paradoxe.
L'utilisation d'un filtre Snapchat, qu'on qualifiera volontiers de très féminin, pour coller à l'image de la femme de rêve alors même que j'ai du blanc d'oeuf sur le visage... Çela aussi c'était pour montrer le paradoxe.
De même, pour le duck face...
Et, pourquoi associer mon visage et une tarte aux fruits ?
Pour montrer le poids des mots !
Les qualificatifs concernant les femmes ont souvent vocation à les déshumaniser dans leur interprétation.
Dans mon tweet, les deux mots "bonne" ont presque la même signification. Une femme et une tarte sont souvent des choses qu'on désire. Ajoutez la connotation sexuelle pour une femme et BIM ! vous avez réduit cette femme à quelque chose que l'on consomme. C'est tout.
Je prends un exemple tout simple, en lisant vous allez vite comprendre ce que je dis.
"Eh beh, il est bon le mec !"
"Eh beh, elle bonne la meuf !"
Dans le premier exemple, on imagine facilement que l'homme en question est doué pour un domaine particulier, notamment son travail. Dans le second... Avouez que vous vous imaginez facilement une femme qui correspond aux mensurations 90 60 90 qu'on "consommerait" à la va-vite.
Eh oui, scoop, c'est humiliant. C'est pour cette raison que j'ai voulue en rire et m'approprier ce mot. D'ailleurs, vous l'avez peut-être noté, beaucoup de femmes entre elles se qualifient ainsi. Nous nous approprions ce mot ! Parfois comme un compliment, parfois avec humour et ironie.
Mais attention, c'est comme le mot "nègre". Si tu es blanc.he, ce mot t'est interdit.
Donc, si tu es un homme, le mot "bonne" pour qualifier une femme, t'est interdit de la même manière. Et plus encore si tu ne la connais pas et ne fais que la croiser dans la rue. Je tenais à préciser.
Les mots qui font reculer ou avancer
L'autre jour, je discutais avec une amie et nous en sommes venues au sujet du "Madame" ou "Mademoiselle". Elle préférait qu'on l'appelle "Mademoiselle" parce que ça fait moins vieille.
Je comprends. Vous constatez qu'il n'est nulle part question de mariage là dedans.
Puis j'ai réfléchi. Un homme, marié ou non, est un Monsieur.
Une femme mariée est une Madame, célibataire c'est Mademoiselle.
Oui, on nous identifie par notre statut marital. Cette distinction me dérange, parce qu'elle traite les femmes comme l'attribut d'une autre personne !
Mlle a disparu des formulaires administratifs depuis 2012, mais est encore très courant dans d'autres domaines, par exemple sur les sites e-commerce.
Petite anecdote : À chaque fois que je commande quelque chose sur un de ces sites, je bloque pendant 5 secondes, à me questionner "Je mets quoi ? Je ne suis pas mariée.", avant de mettre Mme. Parce que je ne comprends pas pourquoi je devrais préciser si je suis mariée ou non. (Autant mettre des cases Mariée, Pacsée, Célibataire, En concubinage. Ça reviendrait au même.) Bref.
Beaucoup diront : "Ohhh ça vaaaa, c'est pas très grave." Peut-être. Mais quand même :
"C'est avec les mots qu'on pense et c'est avec les pensées qu'on crée le monde dans lequel on vit." Noémie de Lattre
En gros, les mots conditionnent notre pensée et tant que dans notre langage on considèrera les femmes comme des attributs, ça va m'agacer.
Petits mots ou grands concepts, le choix des mots qu'on utilise a son importance.
Il n'y a pas si longtemps encore, lorsqu'on parlait de contraception, on parlait de "contrôle démographique". En gros, essayer de réguler les naissances lorsqu'il y en a trop ou pas assez.
A l'époque, avant le féminisme, certains spécialistes de la démographie, pour les plus larges d'esprit, se sont empressés de dire que "les femmes ne pouvaient accéder à la sécurité ou s'épanouir qu'à travers la maternité, et qu'elles mettraient donc trop d'enfants au monde si on leur donnait la possibilité de choisir (sauf si bien sûr, elles pouvaient acquérir une meilleure maîtrise de la lecture et de l'écriture, ce qui les rendrait plus rationnelles)". D'autres, pour les plus conservateurs, "traitaient les femmes comme des obsédées sexuelles [qui] allaient profiter de la contraception pour éviter d'avoir des enfants, vivre dans le péché et affaiblir ainsi la famille." (Je cite ici Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes de Gloria Steinem)
Le terme de "contrôle démographique" a été remplacé par "liberté de procréation" qui englobe un droit pour les hommes et les femmes, puisqu'en plus de parler de contraception et de l'avortement, il implique aussi le droit de refuser la stérilisation, ou de la demander. En bref, homme ou femme, avec la "liberté de procréation", tu as le droit de décider si oui ou non tu veux un enfant.
Ce que j'essaie de démontrer ici, c'est que les mots ne sont pas juste des mots. Ils ont un pouvoir d'exclusion ou d'inclusion.
Je vous laisse avec Noémie de Lattre qui explique tout ça très bien et avec humour :
le masculin qui l'emporte sur le féminin,
la devise française "Liberté, égalité, fraternité",
les insultes
et plus encore.
Enjoy ! 😁
Des bises.
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